Messieurs,
Au sujet de votre tribune parue dans Libération daté du 10 août dernier link
Pour préciser
En rentrant de vacances, j'ai trouvé dans Marianne daté du 14 août 2010 un étrange article de Hervé Nathan, né d'une interview entre lui-même et Sébastien Balibar: "Iter, c'est un gouffre inutile".
Cette interview faisait en fait référence, Messieurs, à une tribune que vous avez fait publier dans Libération daté du 10 Août 2010.
J'ai pu avoir accés à votre manifeste original, et si je suis d'accord avec vous sur nombre d'aspects que vous soulevez, permettez-moi d'exprimer mon désaccord sur de nombreux points.
Je suis ingénieur spécialiste des systèmes avioniques embarqués, mais pendant ma formation, j'ai eu la chance de visiter Superphénix alors encore en construction. Depuis j'ai suivi de très près le dossier.
Constats
Enfin, nous trouvons des gens capables comme nous de défendre l'optimum atteint jusqu'à ce jour pour produire de l'énergie. On se traîne encore la G-III (EPR) alors que l'on aurait pu passer directement à la G-IV (RNR). Je suis en accord complet avec vous pour dire que l'abandon par les pouvoirs politiques de la filière Superphénix reste non seulement une faute politique, mais surtout une faute historique. Une faute incommensurable à l'échelle de l'Histoire: pour la première fois depuis la Renaissance, on posait en Europe un interdit au progrès humain. Au nom d'un principe de précaution que personne ne sait finalement définir et en démontrer l'utilité, quelques personnes ceintes d'une écharpe verte ont voulu mettre fin à l'un des plus vieux rêves de l'Humanité, celui de la pierre philosophale.
La rupture historique provient de la discontinuité introduite dans la lignée des inventions humaines pour faire soutenir à de plus en plus de machines, l'œuvre jusqu'ici soutenue par la sueur de plus en plus d'êtres humains. Heureusement, si on a prononcé en France l'acte de décès du G-IV, il est bien vivant dans des pays tels la Russie, le Japon ou l'Inde. La seule différence sera que si on veut appliquer en France l'utilisation de tels principes, il faudra dorénavant importer la technologie idoine, avec le paiement de licences adéquates. Rappelons qu'à l'époque où la France a décidé de construire Superphénix, le prototype de toute une génération de réacteurs à neutrons rapides (RNR), toutes les instances internationales prédisaient qu'en l'an 2000, environ 30% de l'électricité serait fournie par les RNR. En 2010, force reste de constater qu'on en est loin.
Dans le domaine de l'aviation, cela me rappelle l'abandon par la France de la technologie des statoréacteurs dans laquelle elle était maîtresse (avec le Nord 1500 Griffon II) au profit des Etats-Unis qui ont pourtant construit avec leurs fameux Blackbirds (Lockheed SR-71A), avec lesquels pourtant ils ont pu pouvoir prévenir les crises de 1989 à 1991. Aujourd'hui, Airbus en est ainsi réduit à se poser des questions aux injonctions de compagnies japonaises pour construire un aéronef capable de relier Paris à Tokyo en moins de 5h, faute non seulement de crédits, mais surtout de brevets !
Optimisme
Comme on le dit souvent, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. L'eau du bain, c'est un contexte de développement économique lié au développement de la G-IV. On l'a jetée, admettons-le. Le bébé naturel de ce milieu propice de développement en aurait été la suite logique: le développement de capacités toujours plus compétentes de production d'énergie, en termes de densité de flux d'énergie. Donc notre bébé encore virtuel s'appelle Iter. Iter n'est même pas un prototype: son seul objet est de vérifier la viabilité des hypothèses posées quant à la fusion d'isotopes d'hydrogène, certes très rares dans la Nature et aux coûts d'extraction que l'on peut qualifier d'extravagants, si on juge ceux-ci à la seule aune des règles économiques régnant aujourd'hui et que l'on pourrait qualifier également d'extravagantes en regard de l'avenir de la condition humaine.
Iter n'a pas vocation à produire un prototype capable de fournir immédiatement de l'électricité. Iter reste un banc de tests pour accéder à la maîtrise de tous les aspects physiques et électromagnétiques qu'une telle entreprise exige, aspects que vous rappelez messieurs dans votre manifeste. Le seul reproche que l'on puisse faire est celui d'une seule réalisation, au sein de laquelle devront travailler ensemble nécessairement en concurrence sur un seul site les divers spécialistes de la Planète. Je pense ainsi qu'on aurait dû prévoir trois plates-formes, une en Europe, une sur le continent des Amériques, et une en Asie, chacune d'entre elles pouvant mettre à l'épreuve des idées et donc des solutions éminemment différentes.
Réalisme
Mais réveillons-nous ! Les équipes qui ont construit Superphénix ont été démantelées, de la même façon que l'usine elle-même a été démantelée. Les initiateurs de ce projet tant à l'EDF qu'au CEA sont partis prendre une retraite bien méritée... si on considère qu'il est normal de mettre quelqu'un à la retraite dès lors qu'il n'a pu réaliser les rêves de son enfance ! Vous ajoutez aux anciens dossiers les voies poursuivies à l'étranger quant à l'exploitation du Thorium, en lieu et place du Plutonium. Fort bien ! Mais où sont les bataillons des ingénieurs, techniciens, doctorants nécessaires ? Nulle part ! Pourquoi ?
Parce que depuis environ quarante ans, l'Etat a abandonné ses prérogatives quant au développement économique. Vous pleurez sur 6,5 milliards d'Euros à dégager par l'Europe (laquelle d'ailleurs, celle de la Commission ou celle de l'Euro ?) alors que dans le même temps, les Etats européens ont réussi à "trouver" 750 milliards d'Euros pour sauver la Grèce. En fait, non pas pour sauver la Grèce mais pour sauver les banques engluées dans des prêts inutiles à la spéculation sur l'immobilier en ce pays.
6,5 contre 750: pensez-vous que votre dispute est sérieuse ? Bien évidemment non. A moins de tomber dans un travers malthusien, direction que votre texte semble indiquer, la seule solution est de chercher et de trouver une solution à l'inanité d'un Etat défaillant parmi la communauté des Etats elle aussi défaillante.
Depuis longtemps, nous savons avec les caméralistes (Friedrich List, Alexander Hamilton, les Careys, etc.) qu'en dessous de 3% de croissance réelle par an, on ne peut pas maintenir l'emploi. Alors, pour une société en croissance démographique comme la France, on va dans le mur!
Mur qui peut être assimilé au mur du son: pour qu'un avion puisse passer ce mur, il lui faut d'abord affronter les conditions subsoniques. Sa géométrie particulière, parfois variable lui permettra de passer ce mur. Le Mur du Son. Sa géométrie particulière lui permettra ensuite d'évoluer dans cet au-delà du mur.
Espoir
Nous devons maintenant passer le mur de l'économie. Nous n'avons plus le choix. Ou bien l'Humanité passe ce mur, tel un avion supersonique, et elle survit, soit elle choisit de ne pas le passer et elle meurt, telle la société des dinosaures incapables de maîtriser leur environnement. La seule différence entre les dinosaures et nous réside dans le fait que les dinosaures ont dû essayer de faire face à des conditions environnementales particulièrement adverses, contre lesquelles leurs pouvoirs de développement ne pouvaient rien, alors que nous, êtres humains sommes doués de tous les instruments nécessaires pour faire face là où les dinosaures n'y pouvaient mais. Nous sommes si intelligents, que nos capacités nous font peur et nous nous inventons des limites qui n'ont rien à voir avec la raison. Ce fameux Mur que nous érigeons en désespoir de cause.
La meilleure solution pour passer ce mur reste pour l'heure de passer d'une économie basée sur la consommation d'hydrocarbures à une économie basée sur l'utilisation de l'hydrogène.
Messieurs, je suis en accord avec vous: les coûts liés aux technologies actuellement utilisées pour la production d'hydrogène sont prohibitifs. Si en complément on utilisait la filière MHTGR productrice à la fois d'électricité et de chaleur (à partir de l'eau de mer, production d'eau douce et d'hydrogène par électrolyse), nous pourrions envisager aussi une production de deutérium et de tritium à des coûts supportables.
Mais avant, il nous faut passer le mur de l'économie, réformer nos façons de penser. Développer la G-IV en ayant en ligne de mire une production d'énergie à partir de la fusion thermonucléaire avec, en filigrane, le développement d'une société basée sur la consommation d'hydrogène en lieu et place de celle d'hydrocarbures. Développer la géométrie particulière d'un avion pour passer le mur du son, nous devons le reproduire aujourd'hui au profit de l'économie.
Mais je reste d'accord avec vous: réactivons Superphénix comme les japonais ont su dernièrement réactiver leur RNR Monju pourtant abandonné
depuis 1995 ( link ).